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Des visages...

Paris, le 4 Octobre
Le même bar que quelques jours auparavant, le même Duke que depuis toujours, des gens différents mais avec les mêmes têtes que ceux d’avant. Ou peut être sont-ce les mêmes personnes. Il existe un trouble de l’identification que l’on appelle le délire d’intermétamorphose. Le délire d'intermétamorphose décrit une situation au cours de laquelle l'apparence physique d'une personne est perçue comme celle d'une autre.

C’est dû à un phénomène que l’on nomme la paramnésie réduplicative. La paramnésie réduplicative survient chez les gens chez qui les souvenirs sont perçus en dehors de l'ordre normal. Afin de donner un sens à cette lacune dans l'ordonnancement, un dédoublement des souvenirs s'effectue et ce phénomène est alors associé à un trouble de l'identification. Ca fait beaucoup de mots pour expliquer que j’ai des trous dans la tête, que les marchands d’alcool et de dope ont joué aux Frankenstein du BTP dans ma cervelle pendant trop longtemps, que sur les scan/crâne on dirait que le tunnel sous la Manche me passe entre les oreilles. J’ai envie de vitrioler le visage des gens que je vois, de leur vitrifier la face pour qu’enfin ils se ressemblent tous et que je sois débarrassé de tous ces problèmes d’identification. Si tout le monde avait du tissu cicatriciel à la place de la figure et un petit badge avec son nom dessus, la vie serait beaucoup plus simple pour moi. Plus tôt dans la journée, en regardant la télé, j’ai eu l’impression que tous ceux que je voyais avaient une tête bizarre, un visage trop allongé, un crâne trop gros et des oreilles trop hautes, pas à la bonne place. Le présentateur du journal s’est mis à ressembler à un E.T. de Roswell, recouvert de peau humaine mal ajustée ; la présentatrice météo est devenue une envahisseuse aux grands yeux noirs qui se déplaçait étrangement, comme si son corps était trop grand pour elle. Ce sentiment a fini par disparaître mais je crois que je suis passé de peu à côté d’un nouvel internement. J’oublie tout ça en compagnie du Duke. Il me raconte ses soucis professionnels, la conjoncture difficile dans les médias, l’indigence des producteurs, des diffuseurs et du public. Je suis d’accord avec lui. Même si je n’ai pas travaillé depuis longtemps, je me sens concerné par ce qu’il raconte. Si ces connards ne m’appellent pas, c’est que ce sont vraiment… des connards. Il est déjà tard quand la petite amie du Duke nous rejoint. Petit amie est un bien grand mot. Disons qu’ils sont plus ou moins ensemble. Je n’ai jamais vraiment compris la vie affective du Duke. Toujours à ressasser ses vieilles histoires d’adolescent, ces filles avec qui il est resté au moins dix ans chacune d’après ce qu’il me dit, même si c’est mathématiquement impossible. Dés qu’elle arrive nous partons et je suis bien content de laisser derrière moi tous ces visages. Nous nous rendons chez un pote du Duke qui n’habite pas très loin. Il a enfin réussi à trouver un appartement dans le coin et il organise une fête pour célébrer son emménagement. En chemin, j’aborde trois jeunes filles qui marchent seules. Je parviens à les convaincre de se joindre à nous. Dans l’appartement, il y a très peu de monde. Moi qui leur ai expliqué que nous allions à une fête qui s’annonçait bien, je me sens ridicule dans cet appartement presque vide. Malgré tout, elles ont l’air de le prendre plutôt bien. Je ne connais pas la personne chez qui nous sommes mais apparemment il est vaguement DJ, vaguement journaliste et vaguement propriétaire de son appartement. Merci papa maman. Ils ont payé cher pour qu’il ait le loisir d’emmerder d’autres gens qu’eux avec ses mix technos qui durent jusqu’à 4 heures du matin. Immédiatement, l’une des trois jeunes filles est accaparée par le propriétaire des lieux. C’est une très jolie personne qui débarque à peine d’un département d’outre mer et ne cesse de se plaindre du climat de la métropole. Il a l’air de considérer que c’est notre cadeau de pendaison de crémaillère et elle n’a pas l’air de penser le contraire. Je commence à discuter avec les deux autres. Elles sont sœurs. La plus petite a apparemment des vues sur moi. Elle me raconte sa vie et je remue bêtement la tête en ne pensant qu’à la distance qui me sépare du bar. Sa grande sœur nous rejoint. Elle s’assoit juste entre nous deux et commence à me draguer comme si sa sœur n’était pas à 25 centimètres en train de lui grimper sur l’épaule pour finir sa phrase. Je ne comprends pas trop ce qui se passe. Je pense à tous ces fantasmes de mec qui ont traversé mon adolescence vieillissante : coucher avec deux sœurs, coucher avec des jumelles, coucher avec ma sœur jumelle. Mais je fais fausse route. La petite finit par se lasser. Elle nous laisse et se fait aborder par un crétin que je connais bien. Un crétin qui dés qu’il est saoul se prend pour Thierry Ardisson et la traite rapidement d'idiote sans que ça ait l’air de la déranger. Je poursuis donc ma conversation avec la grande et elle a l’air étonnée quand nous parlons de littérature que j’ai lu autre chose que L’Equipe. Au milieu d’une phrase sur un auteur de théâtre contemporain qui m’insupporte et qu’elle adore, elle se lève et va s’asseoir entre le crétin que je connais et sa supposée idiote de sœur. Là, je perds complètement pied. Elle s’assoit et recommence son petit manège, elle minaude avec le crétin, le coupe de sa sœur et ne lâche pas le morceau. Dépité, la petite revient vers moi. Et hop, c’est reparti pour une permutation. La grande a l’air de vouloir jouer au tic-tac-toe toute la nuit. Je lâche l’affaire. Je n’ai plus envie de m’amuser. Je réduis la distance qui me sépare du bar et je m’abrutis consciencieusement.

Plus tard, je suis dans autre appartement sans trop savoir comment. La plus jeune des deux sœurs est assise sur mes genoux sans trop savoir pourquoi. Je crois que je suis en train d’essayer de lui retirer ses vêtements. Je me rends alors compte que sa grande sœur est allongée sur le lit en train de nous regarder d’un air contrarié. Je ne sais pas depuis combien de temps elle est là à nous regarder, pas plus que je ne sais depuis combien de temps je suis là à essayer de déshabiller cette fille, et je n’arrive pas vraiment à interpréter l’expression de son visage. Quand elle accompagne son expression de mots, je comprends mieux. Elle se lève et tire sa sœur par le bras. Elle lui explique alors qui je suis. Elle me donne 5 ans de plus que ce que j’ai en réalité, raconte que je suis divorcé et que j’ai deux enfants. Je réfléchis et j’ai beau chercher dans ma mémoire, rien de tout cela n’est vrai. J’aimerais lui faire plaisir, mais non, tout ce qu’elle raconte est complètement faux. Elle tire tellement sur le bras de sa sœur qui bougonne sur mes genoux qu’elle finit par déchirer la manche de son pull. J’aurais pu lui arracher ses vêtements tellement plus gentiment. Mais tu ne comprends pas, lui dit elle, il ne veut qu’une seule chose…

Sa sœur finit par lâcher prise et elle s’en vont toutes les deux. Je ne sais pas pourquoi elle a raconté tout ça. Je n’en ai absolument aucune idée. Je n’ai à aucun moment parlé de moi et je suis à peu près sûr qu’elle ignorait jusqu’à mon prénom. Elles sont parties. Je suis seul dans la chambre d’un appartement que je ne connais pas et je ne veux qu’une seule chose. Dormir.

Ecrit par Shell, le Dimanche 11 Mai 2003, 17:25 dans la rubrique "Nuit".